Imprimer la page - Maïka et Pitchoune ...

L'homme libre.

Citation

Neuvillalais, le 22 Octobre 2010. Une roulotte avec des panneaux solaires est stationnée près du Restaurant Le Méridien. Son propriétaire s'affaire dessous pour réparer un des freins qui l'a obligé à faire une halte improvisée dans la commune, sous le regard de deux chiens qui surveillent les abords. Il explique en nous présentant ses juments Francomtoise « Pitchoune » 6 ans et « Maïka » 8 ans, qu'il a vendu tous ses biens pour faire construire cette roulotte, y vivre et aller jusqu'à Vladivostok en Russie. Pourquoi? Parce que c'est la plus longue distance, sur terre, en ligne droite soit 14 000 km à vol d'oiseau. Baroudeur, il nous indique avoir été membre des forces spéciales de la Marine Nationale, comme le fut son père avant lui. Lui demandant au sein du Méridien s'il acceptait de nous raconter son aventure qui tranche avec notre quotidien et les grèves sociales du moment, il accepte et nous livre son histoire: …

Quel est votre nom, votre âge?
Thierry STRACK 52ans

Quelle était votre précédente profession?
La dernière: dresseur de chiens

Pourquoi avoir voulu vivre en roulotte?
Désir d'enfant de 5ans qui a copié ça sur ses grands parents qui vivaient en roulotte. Mon père a quitté la roulotte à 14ans pour entrer aux pupilles de la nation. Il a fait carrière dans la marine et est resté sédentaire. Moi, je suis rentré dans la marine à 15ans et j'avais le projet depuis l'âge de 5ans de vivre en roulotte et de terminer ma vie en roulotte.

Combien de temps pour réaliser le projet?
Alors pour arriver à 50ans: 35 ans déjà parce que j'ai bossé pendant 35ans à bosser comme un fou. Ensuite pour mettre sur papier 2ans, réalisation de la roulotte 8mois et mise en route: depuis que j'ai largué les amarres le 16/02/2008. Je disais pour la première fois à mes juments "marche", en ne sachant pas où j'allais bivouaquer le soir même.

Pourquoi avoir monté vous-même la roulote? Pourquoi ne pas en avoir acheté une toute prête? Qu'est ce qui est innovant dans la votre?
Déjà, j'ai fait les plans et je l'ai fait construire par "Jan Brattinga". Ce qui était intéressant, c'est que j'avais les moyens financiers de pouvoir utiliser des matériaux de dernière génération. Les roulottes construites actuellement par les professionnels ou amateur s'appuient sur de l'histoire ancienne et c'est trop lourd. La plus part du temps beaucoup disent "roulotte" alors que le vrai terme c'est "Verdine", c'est-à-dire une roulotte très lourde qui était déplacée de temps en temps par la famille et qui arrive à 2 tonnes, 2 tonnes 4. Une roulotte tirée par 2 chevaux ne doit pas excéder 1 tonne 7, 1 tonne 8 maximum.

La superficie à l'intérieur ?
8 m². La hauteur totale de la roulotte est de 2.70/2.80m mais dans la roulotte c'est 2m, au plus haut.

Quel est votre mode de chauffage?
Quand je roule c'est un chauffage au bois et en hiver il est couplé avec un chauffage électrique puisque j'ai une éolienne qui s'installe sur le Timon. Au niveau quantité électricité, j'ai de quoi me chauffer avec un radiateur "bain d'huile" de 300 watts.

On remarque également des panneaux solaires sur le toit de votre roulotte, leurs buts?
C'est pour l'été, ils participent à la charge de 4 batteries gel de 100 ampère/heure en 12 volt. Donc j'ai 4800 watts de stockés et c'est pour la télévision, l'ordinateur, la radio, appareil photo numérique, GPS, les outils comme la perceuse, la ponceuse, voilà, tout ce qui est utile.

Le confort d'un foyer vous manque t il parfois?
Nullement, j'ai tout ce qu'il me faut et en plus le fait de réduire ses prétentions, on en revient à apprécier la valeur de chaque chose. Quand on en a de trop, on ne sait plus ce que c'est. Preuve en est: les enfants qui ont beaucoup trop de jouets s'ennuient. Y'a des enfants qui ont tout ce qu'il faut à la maison mais qui font des fugues. Quand on a l'essentiel: on apprécie. Le mieux est l'ennemi du bien.

La solitude n'est elle pas pesante?
Quelle solitude? Je n'ai jamais autant rencontré de gens depuis que je suis dans ma roulotte. Avant j'étais seul dans mon travail. Je rencontrais des clients. C'étaient des clients, y'avait pas d'échange. J'étais quelqu'un qui leur donnait des conseils, qui les pliaient à sa volonté, parce qu'il faut imposer sa volonté pour modifier le comportement des gens avec leurs animaux. Donc, il n'y avait pas de relation d'égal à égal. Ici, dans ce restaurant, on est d'égal à égal. Si vous voulez me dire "merde", vous me dites "merde" et vous partez, c'est simple. Par contre un client qui me disait "merde", c'est que j'avais raté.

Le choix des juments?
Ce sont des Francomtoises et c'est toujours le hasard et il faut savoir que je remercie le hasard tous les jours. Le hasard fait toujours bien les choses et je brûle un encens le soir pour le remercier. Sans ce problème de frein, je ne me serais pas arrêté et je n'aurai pas eu cette conversation avec vous.
Donc pour les juments, au début, je pensais partir avec des percherons mais trop lourds, trop gros donc trop consommateur d'énergie par rapport au rendement.
Après j'ai vu le Breton, mais le Breton reste devant une montée. Il a peur quand ça monte, il n'est pas dans son élément à cause d'un centre de gravité qui est trop en avant, donc dès que cela passe derrière les antérieurs , il recule. Donc dans la montée, le Breton est perdu.
Après j'ai vu les chevaux norvégiens, les Fjords: sale caractère, la majorité des Fjords que j'ai vu, ce n'étaient pas des sympas.
Ensuite, je me suis orienté vers du Castillonais, des chevaux des Pyrénées. J'en ai acheté 2 de très bon gabarit de 700 Kg, vraiment bien tangué mais pas débourrés. Je les ai confiés à un "soit disant" professionnel certifié débourreur de chevaux et il les a cassé. A un tel point qu'il était impossible de passer derrière un des chevaux en long guide. Simplement le fait de passer derrière le cheval, il avait le cul qui rentrait en dessous. Donc j'ai récupéré les chevaux et forcément, je n'ai pas été de bonne presse pour lui. J'ai pu passer ces 2 chevaux sous la selle puisque je suis moniteur d'équitation à l'origine. Donc j'ai débourré ces chevaux pour la selle et j'ai pu les revendre au même prix que je les avais achetés. La seule chose que j'ai perdu, c'est du temps.
En allant sur Internet je suis tombé sur une annonce où il y avait 2 Francomtoise à vendre débourrée en individuel, j'ai téléphoné et on m'a dit qu'elles étaient vendus mais qu'il en avait reçu 2 autres: ces 2 là. J'ai rencontré ce monsieur, j'ai essayé les juments. Faut savoir, pour l'anecdote que ce monsieur là est un ancien dresseur d'éléphant. J'ai dit que j'étais d'accord. Il les a débourrées en paire. Un mois et demi plus tard, j'avais mes deux juments.

A-t-il fallu une période d'adaptation entre elles et vous?
J'ai passé une semaine avec elle à les mener en individuel. Quatre semaines plus tard, une fois débourrées, j'ai passé une semaine à les mener en paire chez lui. Puis dès que je suis rentré, ça a été le travail d'accoutumance à l'environnement, débourrage au chiffon, puis les débourrages qui n'avaient pas été faits de part l'environnement. Et puis, bien sur, travailler sur une petite voiture très légère. Le principe était d'améliorer leur obéissance et de voir leur réaction. Et pour moi, m'entrainer car je ne suis pas un meneur "né".

Une façon mutuelle de s'apprivoiser, en quelque sorte, non?
Non, l'apprivoisement s'est produit pendant le premier voyage en direction de Bordeaux. Moi, je suis dresseur de chien. Le chien est un animal très réactif.1/4 de seconde: il a réagit, il a compris. Un petit doigt qui bouge et il sait qu'il va se passer quelque chose. Et plus on monte dans le poids de l'animal et plus le temps de réaction est lent, mais plus sa violence est forte. L'erreur que je commettais, c'est de vouloir faire obéir mes Francomtoise de 800 kg aussi rapidement que mon malinois ou mon berger belge. Donc ça ne pouvait pas coller et les accidents que j'ai eus l'année dernière, c'était lié à ça. J'ai demandé trop de réactivité à mes chevaux et c'est moi qui de part mon ignorance en ce qui concerne le cheval les mettait dans des situations à l'échec. J'ai changé d'opinion et maintenant, je sais qu'il faut laisser 2/3 secondes de réaction pour avoir une attitude correcte vis-à-vis de l'animal.

Donc une vigilance de chaque instant?
Enormément de vigilence, c'est pour cela que je n'arrive pas à grossir quand je mène. Je bouffe comme un chancre, parce que quand on est à mener pendant 3 heures et demie, 4 heures, y'a toujours les mains qui travaillent pour garder les chevaux. Choisir la trajectoire et regarder l'environnement, pour anticiper le papier qui va voler, le mec qui démarre sa tronçonneuse, tout les petits trucs, le grand père qui a vu la roulotte et qui est allé chercher quelqu'un et on ne sait quand ils vont débouler devant les chevaux, donc tout ça. En plus y'a la longueur de l'équipage. J'ai un équipage qui est long, plus de 9m. Quand le timon est orienté vers la route de gauche, le temps que tout revienne à l'arrière. Y'a 20m à peu près. En 20m, une voiture a parcouru presque 300m, le temps que je fasse la route. Ça demande énormément d'énergie.

Donc mener une roulotte n'est pas une promenade à portée de tout le monde?
Non, à chaque fois que je me suis retrouvé en situation de promenade, c'est-à-dire 2 guides dans la main, le fouet détendu, y'a eu des embrouilles, à chaque fois. On ne peut pas tout mélanger. Mener ou se promener. Quand j'ai des gens à bord, ils peuvent admirer le paysage. Moi quand je mène, j'ai des flashs, je regarde, j'enregistre mais je ne peux profiter de la balade. C'est pour ça, heureusement que mon amie mène en paire.

Depuis combien de temps êtes-vous sur les routes?
Je suis parti le 30 mai 2010 de Hédé (35) et j'y serais de retour vers le 7/8 Novembre. Mais là, je ne suis pas bien. Normalement, j'aurais du rentrer plus tôt. Faut rentrer quand les fougères commencent à faner. C'est un repère.

Avez-vous des contacts avec les gens du voyage?
Très peu. La plus part du temps, les gens que l'ont dit "gens du voyage", sont des gens qui voyagent dans une région. Ils ont leur tournée, leurs travaux, leurs clients. Ils savent où ils peuvent chercher leurs ferrailles, où ils peuvent réparer des paniers. C'est ça les vrais gens du voyage, les vrais "Rom".
Parce que Rom ça vient de "Romanichel", et ils sont en France depuis 1700 et quelques. A savoir que ce sont les Romanichel qui ont crée les puces à Paris. Les Romanichels ont été les instigateurs du tri sélectif. A Paris, les premiers à passer sur les poubelles des parisiens, c'étaient les Romanichel qui récupéraient, les ferrailles, les chiffons, les cartons, les trucs à récupérer, à chiner qu'ils réparaient et leurs roulottes étaient installées à l'emplacement actuel des puces. Comme ils n'ont pas voulu se légaliser au niveau professionnel, ils ont été virés. Et ce sont des professionnels, des antiquaires qui se sont mis là bas.
Actuellement, les gens qui ont pu créer des problèmes se sont les "Roum", les roumains qui la plus part du temps récupèrent une vielle roulotte, une vieille voiture, s'installent parce qu'ils savent qu'ils vont avoir toutes les aides sociales qu'ils n'ont pas dans leur pays. Quand on entend leur gouvernement dire que la France commet une erreur en leur donnant de l'argent. Mais c'est normal, ils viennent tant qu'ils pourront trouver à manger.

Comment choisissez-vous vos itinéraires et vos arrêts?
Déjà, je pense aux objectifs à atteindre. Ensuite je trace une ligne entre le point de départ et l'arrivée, pour m'approcher au plus prêt du "Trekking", et au départ chaque étape qui va être faite sera reconnue en VTT. Donc là, je suis descendu à Levier (25), 52 étapes, 1700 Km en VTT (aller-retour). Toujours une reconnaissance avant de déplacer la roulotte. Là c'est tout bonheur car je remonte sur mes traces. Donc, je sais où je vais arriver. Je sais où il y a de l'eau. Normalement, je n'aurais pas du m'arrêter ici, mais je savais que je pouvais m'arrêter car nous étions déjà venu déjeuner en Juin.

La reconnaissance c'est donc pour l'eau, les travaux de route?
Surtout l'accueil des gens. L'accueil c'est ça le plus important. Quand les gens sont prévenus que y'a quelqu'un qui va arriver, vous leur demander leur accord, c'est-à-dire est ce que cela vous dérange que j'installe là la roulotte pour la nuit et je repars demain matin. La plus part du temps elle est accueillie avec les chevaux, y'a pas de problème, y'a pas de soucis. Quand vous êtes accueillis, les gens vont vous donner la crème, le meilleur d'eux même. Vous partagez rien, vous prenez, c'est ça qui est bien. Ils vont vous préparer de l'eau, ils vont un petit peu vous chouchouter. Et ils vous apporter des contacts sociaux, vous tenir informé.

Est-ce qu'un maire vous a déjà dit: "non, non monsieur, faut pas rester là, faut partir"?
Les municipalités, en principe, je les rencontre. Elles changent en fonction de ce que vous avez dans les mains. J'arrive les mains vides: "Ho, vous…, y'a pas d'herbe". J'arrive avec le Iphone et le GPS: "y'a de l'herbe". Y'a toujours un endroit ou vous poser. Je montre une photo de ma roulotte, y'a quelqu'un de la municipalité qui va venir prendre des photos pour immortaliser le passage.
Simplement, c'est le crescendo et le nanti.
Si j'arrive même bien sapé en disant: "ben voila… je me déplace en roulotte est ce que je pourrais la placer à tel endroit", on me dit "non, non, non…, y'a pas d'herbe, on va avoir une kermesse", toujours. Par contre vous arrivez avec le GPS, le Iphone, vous posez ça et vous dites "bonjour madame, je voyage en touriste est ce qu'il y a pas un endroit où je peux poser ma roulotte le temps d'une nuit", tout le monde se met en branle. On vous trouve 1,2 ou 3 endroits, de l'eau. Simplement sur le paraître. Je pourrais être le dernier des cons: mais je "parais".

Vous sentez vous en sécurité dans une roulotte du fait d'être sur la route, en proie à des pannes ou des blessures?
Où je suis très attentif, c'est à ne pas me blesser inutilement. M'atteindre par une faute d'inattention ou un mauvais usage d'un outil ou une prétention. Parce que si je suis blessé, plus personne pour s'occuper de mes chevaux, plus personne pour s'occuper de mes chiens, plus personne pour s'occuper de moi et mon projet tombe à l'eau. Donc je suis très attentif à "me" respecter. Je travaille toujours avec des chaussures de sécurité. J'ai toujours des gants pour travailler. Les outils sont toujours bien affutés et je travaille toujours vers l'extérieur. Y'a toujours une réflexion avant une action, de telle manière que je ne me blesse pas et que je ne mette pas en péril mes animaux et mon projet.
Financièrement, une fois que l'investissement dans la roulotte a été réalisé, cela revient à combien par mois le fonctionnement d'une roulote?
Je vais vous répondre franchement, cela doit faire autour de 380/390 Euros, tout compris comme l'alimention, les soins des animaux, les vaccinations, les vermifuges, la ferrure.

Lorsque qu'on est comme vous sur la route, se sent on concerné par l'actualité sociale, les grèves?
On est moins touché parce que l'on ne participe à rien. Je ne vote même plus parce que je ne dois plus rien à personne. Par contre une chose où je suis reconnaissant, c'est la qualité des routes, l'eau que je prends dans les cimetières. Mais quand on voit la quantité d'eau qui est utilisée le 01 novembre pour nettoyer les pierres tombales à grand coup de flotte et de javel, donc le peu d'eau que je vais prendre, ça ne dérange pas.

Que conseillez-vous à ceux qui voudraient suivre votre exemple?
Libre. D'être libre. De pouvoir dire "merde" à tout le monde. De ne dépendre à aucun moment de qui que ce soit. Et souvent j'ai une forme de rébellion, parce que je ne suis pas libre. Là aujourd'hui, j'en voulais énormément à ce satané frein. Parce qu'il m'empêchait d'être "libre".

Avez-vous un site Internet? Est-ce que vous écrivez un journal de bord?
J'écris mon journal de bord, mais ça c'est perso. Je donne des informations à travers un blog via Overblog. Vous cherchez sur le net mon nom et vous aurez tout. C'est STRACK, S-T-R-A-C-K, cela veut dire immédiatement en vieux prussien. Je suis aussi sur Facebook pour avoir des connexions avec mes enfants. C'est tout. Il n'est pas question pour moi d'écrire un livre…

Après le repas, et après avoir harnaché ses 2 juments, l'homme libre a pris la direction de la Bretagne.
Sur son chemin, à la sortie de Neuvillalais, il prit le temps de prendre à son bord un enfant du village qui lui faisait coucou de la main, le temps de parcourir 800m et le temps de lui laisser un souvenir impérissable.
Bonne route Thierry.

(http://sites.google.com/site/associationgrainedidee/infos-locales/archives-infos-locales-du-01-08-2010-au-31-12-2010)

Le Domaine Du Lacis ...

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